La Vague

Avant d’écrire, je me demande à qui je m’adresse, et quelle est la circonstance de cette adresse (cette lettre s’adresse à une femme, d’accord. Une femme qui est loin, à la campagne et qui s’ennuie. Moi je suis à la ville au milieu du tumulte – c’est la circonstance. Je prendrai garde d’adapter mon débit à celui de quelqu’un pour qui les jours sont longs et vont avec le soleil). 

Ici, je m’adresse à une dizaine – voir une centaine de personnes si j’ai de la chance – toutes issues de mon réseau : donc entre vingt et soixante-dix ans, avec un peu plus de femmes que d’hommes. La circonstance de l’adresse, nous la connaissons tous. Car s’il y a bien une certitude en ces temps troubles c’est que vous êtes chez vous et que je suis chez moi, confinés depuis un peu moins de deux semaines. Nous parlons donc du même endroit, et de la même immobilité. Seule différence : vous êtes peut-être en compagnie de. Tout le monde n’a pas la chance (ou la peine, c’est selon) de vivre à l’isolement. C’est LÀ où cette adresse est exceptionnelle : qui que vous soyez, je suis sûr que nous vivons – dans sa grande ligne – la même chose. Et c’est la première fois que de telles circonstances d’écriture ont lieu. La première fois qu’en vous parlant de ce qui m’arrive, je peux affirmer que – cela ne vous est pas peut-être arrivé un jour – mais vous arrive maintenant, au même moment que moi. Et c’est de ça que j’aimerais vous parler. 

Quand est-ce que, dans l’Histoire, la totalité du pays et la moitié de l’humanité s’est vue contrainte à une même action – ici « rester chez soi » ? Je ne suis pas savant, mais je dirai : jamais. Jamais, hormis aujourd’hui, nous n’aurions pu parier sur où se trouve quelqu’un, et en tout point du globe (« chez lui »), en n’ayant qu’une chance sur deux de se tromper. Contemplez cela ! 

Mais permettez-moi de vous présenter une autre réflexion : j’aime croire qu’une même action répétée par un très grand nombre de personnes a des effets magiques. Qu’une minute de silence calée sur un même horaire, à la suite d’un attentat, conjure effectivement le mal, que la masse des prières récitées chaque jour détourne invisiblement le cours des choses, que – plus prosaïquement – l’addition des petits pas cadencés d’un régiment d’infanterie fait s’effondrer les ponts. Je me demande alors ce que la moitié de l’humanité mise à demeure provoquera – quelle tempête ces quatre milliards de papillons déclencheront, et en quel coin du globe ? Pour moi, c’est vraiment la grande surprise qui nous attend – et je guette, sous l’écume affolée des évènements actuels, des news, la naissance de la vague inconnue. 

Paris, le 29 mars 2020

Tableau : Gérard Fromanger, Bastille Réseaux, 2007

2 thoughts on “La Vague

  1. Bonjour Hugo ,
    Votre lettre est magnifique et magique, j’en suis sûre !
    L’effet papillon 🦋 ?! Oui, surfons tous ensemble sur cette vague, qu’elle nous emporte vers un horizon meilleur !
    Merci pour nous et pour votre talent
    Albane

    • Merci Albane !
      Votre message m’a tellement touché !
      Oui 🌊 La vague qui s’annonce nous poussera vers l’Ouvert !
      J’en suis certain !
      Prenez soin de vous,
      Hugo

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